jeudi 25 décembre 2014

Battlestar Galactica Résistance - A Frakkin' Skin Job !


Avant-propos: en ce jour de Noël, et pour ce nouveau billet, je vous ai préparé un petit cadeau. Vous trouverez dans l'article ci-dessous les règles du jeu de cartes Résistance, pour lequel j'ai réalisé un hack dans l'univers de Battlestar Galactica. Le jeu original Résistance a été créé par Don Eskridge et est édité par "lndie Boards And Cards". Vous trouverez, comme d'habitude, dans la colonne de droite à la rubrique "Mes réalisations ludiques" le fichier au format pdf "Battlestar Galactica Résistance" à télécharger et à imprimer (l'option d'impression "9 pages par feuille" vous permettra de conserver le format original des cartes tout en économisant le nombre de feuilles à imprimer). Ensuite, il ne vous restera plus qu'à vous armer de ciseaux et de courage. Pour ma part, ne pouvant imprimer sur des feuilles épaisses / cartonnées et les plastifier, j'ai glissé les recto et verso de chaque carte dans une pochette plastique contenant déjà une carte lambda d'un autre jeu.

Contenu


Le fichier à imprimer comprend :

10 cartes Personnage
Recto - Carte Personnage
Verso - Carte Personnage











10 cartes Identité (6 Colons & 4 Cylons)
Recto (Cylon) - Carte Identité
Recto (Colon) - Carte Identité











Verso - Carte Identité











1 carte Commandant
Recto - Carte Commandant
Verso - Carte Commandant













5 cartes Escadron
Recto - Carte Escadron
Verso - Carte Escadron











20 cartes de Vote (10 "Oui, c'est ce que tous nous disons !" - 10 "Frak, non !")
Recto - Carte Vote
Recto - Carte Vote











Verso - Carte Vote











10 cartes Mission (5 "Mission Réussie" & 5 "Mission Échouée")
Recto - Carte Mission
Recto - Carte Mission











Verso - Carte Mission











15 cartes Complot (utilisées uniquement pour jouer avec l'extension "Le Plan")
Recto - Carte Complot
Verso - Carte Complot











1 carte Tableau de Score
Recto - Carte Tableau de Score
Verso - Carte Tableau de Score











1 carte Formation d'Escadron
Recto - Carte Formation d'Escadron
Verso - Carte Formation d'Escadron











1 carte "Le Plan"
Recto - Carte Tableau des Complots
Verso - Carte Tableau des Complots











1 carte "Choisissez votre camp". Sur cette carte vous pourrez disposer 6 marqueurs de score (3 jetons bleus pour les missions réussies et 3 jetons rouges pour les missions échouées)
Recto - Carte Marqueurs des Scores
Verso - Carte Marqueurs des Scores











But du jeu


Résistance est un jeu de persuasion et de déduction autour d'un système d'identités secrètes . Les joueurs y incarnent des Colons humains luttant pour survivre face au plan d'élimination organisé par les Cylons, ou des Cylons tentant d'enrayer cette rébellion. Les Colons remportent la partie si trois Miss ions sont menées avec succès, tandis que les Cylons sont immédiatement déclarés vainqueurs s'ils parviennent à faire échouer trois Missions. Les Cylons peuvent également gagner à tout moment si les Colons échouent 5 fois d'affilée à désigner un Escadron pour la prochaine Mission (5 votes négatifs pour la même mission).
Une règle essentielle de ce jeu est la totale liberté de parole de tous les joueurs, à tout moment de la partie. Le dialogue, le mensonge, l'intuition et les interactions entre les joueurs sont aussi importants pour parvenir à la victoire que les déductions logiques.

Les cartes


Cartes Personnage: elles représentent l'avatar incarné par le joueur pour la partie.
Cartes Identité: elles déterminent l'allégeance du joueur (chaque joueur est soit un Colon, soit un Cylon). Un joueur ne doit jamais révéler sa carte Identité sauf s'il y est amené par l'effet d'une carte Complot.
Cartes Escadron: elles sont utilisées pour désigner les joueurs assignés à l'Escadron pour la prochaine Mission.
Cartes de Vote: elles sont utilisées pour approuver ou rejeter l'Escadron désigné par le Commandant.
Cartes de Mission: elles sont utilisées pour déterminer la réussite ou l'échec de la Mission.
Cartes Complot: actions spéciales utilisées uniquement avec l'extension.


Préparation


Posez les marqueurs de score sur la carte associée, les cartes Escadron et les cartes Mission à côté du
tableau de score, au centre de la zone de jeu, puis placez le marqueur de progression sur la case de la première Mission. Donnez deux cartes de Vote (une de chaque type : "Oui" et "Non") à chacun des joueurs. Remettez ensuite la carte Commandant au joueur incarnant dans l'ordre de présence :William Adama / Laura Roslin / Saul Tigh / Lee Adama / Gaius Baltar, puis utilisez le tableau sur la carte Formation d'Escadron pour déterminer le nombre de Colons et de Cylons à inclure dans la partie.

Mélangez les cartes Identité correspondantes et distribuez-en une, face cachée, à chaque joueur, qui prend connaissance de son rôle en la regardant discrètement.

Identification des Espions :
Une fois que les joueurs ont pris connaissance de leur allégeance, le Commandant doit s'assurer que tous les Cylons se reconnaissent en donnant les directives suivantes:
"Tout le monde ferme les yeux."
"Les Cylons ouvrent les yeux et regardent les autres joueurs afin de tous se reconnaître entre eux,"
"Les Cylons referment les yeux. Tout le monde doit maintenant avoir les yeux fermés."
"Tout le monde ouvre les yeux."

Déroulement de la partie


La partie est composée de plusieurs manches, comprenant chacune une phase de formation de l'Escadron et une phase de Mission.

Former un Escadron
Lors de la phase de formation de l'Escadron, le Commandant désigne les personnages qu'il souhaite affecter à la prochaine Mission, puis tous les joueurs votent pour approuver ou rejeter l'Escadron proposé.

Affectation à l'escadron : Après les discussions nécessaires, le Commandant prend le nombre de carres Escadron correspondant à la prochaine Mission (en se reportant au tableau sur la carte Formation d'Escadron) et assigne chaque carte au personnage de son choix y compris lui-même. Chaque joueur ne peut recevoir qu'une seule carte Escadron par Mission.

Vote: Après les discussions nécessaires, le Commandant appelle au Vote pour l'Escadron qu'il a proposé. Chaque joueur, y compris lui-même, choisit secrètement une de ses cartes de Vote. Lorsque tout le monde a fait son choix, le Commandant demande la révélation des cartes de Vote. Si la majorité des votes est positif, l'Escadron est approuvé et la partie continue avec la phase de Mission. Sinon (y compris en cas d'égalité), la proposition d'Escadron est rejetée : le joueur assis à gauche
du Commandant actuel reçoit la carte Commandant et commence une nouvelle phase de formation de l'Escadron.

Si cinq Escadrons sont rejetés dans la même manche (5 votes négatifs d'affilée), les Cylons remportent immédiatement la partie.

Accomplir la Mission
Chaque joueur assigné à l'Escadron décide secrètement de soutenir ou de saboter la Mission. Le Commandant leur donne chacun deux cartes Mission différentes. Chaque membre de l'Escadron choisit une de ces cartes Mission et la joue face cachée devant lui. Le Commandant ramasse les cartes jouées, les mélange puis les révèle. La Mission n'est remplie que si seules des cartes Mission Réussie ont été jouées. Si une (ou plusieurs) carte Mission Échouée est révélée, la Mission est ratée.

Note: Les Colons doivent dans leur intérêt jouer une carte Mission Réussie. Les Cylons peuvent choisir de jouer une carte Mission Réussie ou une carte Mission Échouée.

Note: Dans une partie à 7 joueurs et plus, la 4ème Mission n'échoue que si au moins 2 cartes Mission Échouée sont révélées.

Note: Avant la révélation, il est conseillé de faire mélanger le paquet de cartes Mission jouées (et, séparément, celui des cartes Mission défaussées) par au moins 2 joueurs différents.

Une fois la Mission menée, indiquez sa réussite ou son échec en plaçant un jeton respectivement bleu ou rouge à la place du marqueur de progression , puis avancez ce dernier sur la case de la Mission suivante. Le Commandant actuel passe la carte Commandant à son voisin de gauche, qui entame une nouvelle phase de formation de l'Escadron.

Fin de la partie
La partie prend immédiatement fin lorsque trois Missions ont été réussies (victoire des Colons), ou trois Missions ont échoué (victoire des Cylons).

Notes :
Les Colons peuvent se baser sur des informations de différents types : il y a d'abord la façon de voter de chacun, puis les résultats des Missions, et enfin les indices décelés à travers les interactions entre les joueurs. Les Colons devront utiliser toutes les informations dont ils disposent pour démasquer les Cylons infiltrés parmi eux. Sauver l'humanité n'est jamais chose facile. Vous devez vous attendre à une large proportion de victoires des Cylons avec les règles de base, notamment pour les parties à plus de 7 joueurs. Les cartes Complot de l'extension "Le Plan" apportent de nouvelles sources d'information pour les Colons, ainsi que de nouvelles possibilités de manœuvres pour les Cylons.

Variantes :
Attaques ciblées: Le Commandant propose à la fois la Mission et l'Escadron. Chaque Mission ne peut être tentée qu'une seule fois, et la 5ème Mission ne peut être entreprise qu'après avoir réussi deux autres missions.
Cylons isolés: Ignorer la phase d'identification des Cylons.

Extension pour Résistance


"Le Plan" ajoute des cartes Complot, qui procure de nouveaux moyens d'identifier les autres joueurs ou de dissimuler sa propre allégeance. Pour une partie à moins de 7 joueurs, on n'utilise que 10 des 15 cartes Complot; référez-vous aux chiffres indiqués sur le côté droit des cartes pour savoir lesquelles. À 7 joueurs ou plus, on joue avec toutes les cartes Complot. Les cartes Complot ne sont pas secrètes et doivent rester face visible une fois en jeu.

Distribuer des cartes Complot:
Au début de chaque manche, le Commandant pioche des cartes Complot (2 dans une partie de 5 à 8 joueurs, 3 pour 9 ou 10 joueurs tel que décrit sur la carte "Le Plan") et les distribue au(x) joueur(s) de son choix (autres que lui-même). N'oubliez pas qu' il n'y a que 5 manches dans une partie.

Jouer des cartes Complot:
Il y a trois types de cartes Complot : les cartes devant être jouées immédiatement (usage immédiat), puis défaussées; celles pouvant être conservées jusqu'à ce qu'elles soient jouées (usage unique); enfin, les cartes restant en jeu jusqu'à la fin de la partie (usage permanent). Au cas où plusieurs cartes Complot puissent être jouées en même temps, elles devront être jouées dans le sens horaire, en commençant par le Commandant. Un joueur ayant renoncé à jouer une carte Complot à son tour ne peut plus en utiliser jusqu'à la fin de la manche. Les informations récoltées par le biais de cartes Complot peuvent être partagées, mais on ne doit jamais montrer une carte Identité ou Mission aux autres joueurs.

FAQ:
Puis-je tout de suite inclure l'extension avec des joueurs débutants?
Oui, il n'y a aucune raison de ne pas jouer avec l'extension lorsque vous accueillez de nouveaux joueurs dans un groupe déjà familiarisé avec les règles avancées. Il est toutefois conseillé de ne pas désigner un joueur débutant comme premier Commandant, afin de ne pas lui rendre le début de partie trop compliqué dans le cas où ce soit un Cylon.

Pour conclure : amusez-vous bien en cette période de fêtes, et encore une fois Joyeux Noël !

dimanche 14 décembre 2014

Principes de la philosophie stoïcienne - Discipline de l'assentiment

Avant-proposle précédent billet a présenté les Devoirs sur lesquels repose la  "Citadelle Intérieure", reproduite dans le schéma ci-dessous pour rappel. Mais il est également demandé au sage stoïcien de construire une discipline du jugement basée sur l'assentiment qu'il donne aux événements. Dans le présent article, je vais développer les méthodes sur lesquelles repose cet assentiment. Je finirai ce billet et cette série d'articles sur le stoïcisme, en essayant de résumer au mieux ce qu'il y a à retenir de cette philosophie.


Discipline de l'assentiment


Pour rappel, la discipline de l'assentiment requiert de toujours examiner et critiquer les jugements que je porte, que ce soit sur les événements qui m'arrivent ou que ce soit sur l'action que je veux entreprendre. L'assentiment initie le mouvement vers le désir ou l'impulsion à l'action. Mais ceci est inséparable de l'adhésion intérieure à un certain jugement et à un certain discours prononcé au sujet des choses.

La discipline de l'assentiment repose sur deux méthodes: la définition physique et l'Amor Fati.

Définition physique


Le principe directeur doit critiquer la subjectivité déformant le réel, afin de passer d'un discours intérieur subjectif à celui objectif. La subjectivité fait intervenir des considérations étrangères à la réalité. La définition physique vise à rechercher la représentation objective en situant les événements et les objets dans la perspective de la Nature.

Elle fera voir le peu de valeurs des choses dépouillées de leurs apparences. Par rapport à la valeur qu'est la pureté de l'intention morale, tout est vil, mesquin, souillure. Elle permet de réfléchir sur le caractère relatif et subjectif de la notion de souillure et de chose répugnante.

Elle sert à écarter tout faux jugement sur les choses et les événements qui nous paraissent pénibles ou répugnants. Ce qui est vraiment répugnant ce sont les passions et les vices, pas certains aspects de la matière comme les aspects physiologiques et physiques du fonctionnement du corps et de la transformation continuelle des choses en nous et autour de nous : la poussière, la saleté, la mauvaise odeur, la puanteur, car tous ces aspects ne sont que des conséquences nécessaires mais accessoires de l'impulsion donnée à l'origine des choses par la Nature.

La familiarité avec la Nature permet de reconnaître que les choses qui paraissent répugnantes, écœurantes, terrifiantes sont en fait belles car elles font partie des processus naturels, découlant indirectement de l'intention de la Nature.

Amor Fati


Etre indifférent aux événements qui ne dépendent pas de moi, c'est ne pas faire de différence entre eux, et donc de les aimer également. Ne pas rompre la cohésion du Tout en refusant d'accepter tel ou tel événement. Vouloir l'événement qui arrive dans l'instant présent c'est vouloir tout l'univers qui le produit, c'est éprouver un sentiment d'intimité avec l'univers. Le moi comme principe directeur coïncide avec le principe directeur de l'univers. En consentant aux événements, la prise de conscience du moi se hausse de sa situation limitée, de son point de vue partial et restreint d'individu à une perspective universelle. Ma conscience se dilate aux dimensions de la conscience cosmique.

Qu'il y ait une providence ou seulement des atomes, l'attitude morale stoïcienne est la seule possible: "Si tout va hasard, toi ne va pas au hasard."

Que retenir du stoïcisme ?


Le stoïcisme repose sur trois préceptes:
  • La vertu physique pour appréhender le rapport au monde
  • La vertu éthique pour appréhender le rapport aux autres
  • La vertu logique pour appréhender le rapport à soi

La Physique vise à ce que nous prenions conscience de notre part insignifiante dans l'Univers, que la seule valeur en regard de cette insignifiance est l'intention bonne moralement, et qu'il ne sert à rien de craindre ou de chercher à éviter les événements qui arrivent.

L'Ethique vise à définir les règles régissant notre rapport aux autres. Le stoïcisme n'a qu'un seul but, le bien de la communauté humaine. Chacune de nos actions devrait viser cet objectif, et porter en elles la bienveillance, la douceur, la bienfaisance et la justice envers autrui.

La Logique vise à diriger notre jugement, à lui donner des règles pour appréhender les événements de notre vie, ainsi que de guider nos désirs et nos actions. Ces règles doivent nous aider à préserver notre sérénité face à ces aléas de la vie et à reconnaître les valeurs véritables.


Pour conclure : ainsi se termine cette série d'articles sur la philosophie stoïcienne. Cette philosophie se montre très exigeante envers quiconque voudrait suivre ces préceptes. La stricte observance de ces préceptes n'est qu'un idéal à atteindre, et le sage en a pleinement conscience, mesurant chaque jour sa progression vers cet idéal inaccessible. Il existe d'autres philosophies plus accessibles, comme l'épicurisme par exemple, et d'autres encore plus difficiles à suivre, comme le cynisme. J'aborderai en détail ces deux philosophies dans des articles dédiés futurs.

dimanche 30 novembre 2014

Principes de la philosophie stoïcienne - Le traité des devoirs

Avant-propos : le précédent billet a introduit la notion de "Citadelle Intérieure", reproduite dans le schéma ci-dessous pour rappel, et dans laquelle il est demandé au sage stoïcien de construire une discipline du jugement basée sur l'assentiment qu'il donne aux événements et aux devoirs qu'il se doit d'accomplir. Dans le présent article, je vais développer cette théorie des devoirs en détaillant les caractéristiques associées à l'intention morale.


Le traité des devoirs


L'homme est régi par des lois de 4 natures :
  • universelle : consentir au Destin
  • végétative : conservation de soi en se nourrissant à condition que la satisfaction de cette exigence n'ait pas un effet néfaste sur les autres forces internes à l'intérieur de l'homme
  • animale : conservation de soi grâce à la vigilance des sens
  • humaine : entière mise au service de la communauté humaine
Les devoirs sont des actions ayant pour fin le bien de la communauté humaine et conformes à la Nature humaine, à la Raison commune à tous les hommes, à la Nature et à la Raison universelle.

Il s'agit de procurer à la volonté bonne une matière d'exercice et à fournir un code de conduite pratique permettant de faire des différences dans les choses indifférentes et d'accorder une valeur relative aux choses en principe sans valeur. On reconnaîtra rationnellement les choses qui ont une "valeur" car elles correspondent aux tendances innées que la nature a mises en nous : aimer la vie, ses enfants, un instinct de sociabilité, former des groupes, des assemblées, des cités, se marier, servir sa patrie, avoir une activité politique.

Les devoirs correspondent à certaines actions appropriées:
  • actions dont l'initiative dépend de nous, supposant une intention bonne ou mauvaise, qui ne peuvent donc être accomplies de manière indifférente, mais ont un résultat qui ne dépend pas de nous,
  • actions portant sur une matière en principe indifférente puisque ne dépendant pas entièrement de nous mais aussi des autres hommes ou des circonstances, des événements extérieurs donc du Destin. Cette matière peut raisonnablement, vraisemblablement, être jugée conforme à la volonté de la Nature, donc revêtir une certaine valeur soit en raison de son contenu, soit en raison des circonstances.

Les objets et matières qui sont en soi indifférentes prennent une valeur dans la mesure où ils permettent à l'intention de s'appliquer, de se concrétiser : l'intention morale transcende ces objets et matières. En les considérant dans une perspective cosmique, les choses de la vie peuvent paraître belles, parce qu'elles existent, et pourtant sans valeur parce qu'elles n'accèdent pas à la sphère de la liberté et de la moralité.

Pour que des impulsions actives soient considérées comme bonnes, elles doivent présenter les caractéristiques suivantes :
  • qu'elles soient accompagnées d'une clause de réserve,
  • qu'elles aient pour but le service du bien commun,
  • qu'elles soient en rapport avec la valeur.

Nous allons aborder ces trois caractéristiques en détails ci-après.

Clause de réserve


L'intention d'agir et l'action se fondent dans un discours intérieur qui va énoncer le dessein de celui qui agit. Dans ces desseins très arrêtés, avec une intention ferme, déterminée, résolue à vaincre tous les obstacles, le sage stoïcien fait la part des événements incertains.

"La ferme persévérance dans les décisions prises après mûres réflexions."

La clause de réserve signifie que cette décision ferme reste toujours entière, même si un obstacle surgit devant en empêcher la réalisation. Cela fait partie des prévisions du sage et ne l'empêche pas de vouloir ce qu'il veut faire. Dans le stoïcisme faire telle ou telle action n'est pas une fin en soi. C'est une distinction capitale : celle qui oppose le but et la fin. Il ne peut vouloir le but qu'avec une clause de réserve, à savoir : à condition que le Destin le veuille aussi.

Celui qui agit doit cependant pouvoir changer d'avis si quelqu'un lui donne des raisons valables de le faire.

La seule valeur absolue, c'est l'intention morale. Elle seule dépend entièrement de nous. Ce qui compte, ce n'est pas le résultat, qui ne dépend pas de nous, mais du Destin, ce qui compte c'est l'intention que l'on a en cherchant à atteindre le résultat.

Si notre activité est animée par l'intention parfaitement pure de ne vouloir que le bien, elle atteint à chaque instant sa fin, elle est toute entière présente dans le présent, elle n'a pas besoin d'attendre du futur son achèvement et son résultat.

Quand nous ne pouvons plus agir de la manière que nous voulions, quand le résultat même de l'action que nous voulions faire ne pourra se réaliser, nous ne devons pas nous laisser troubler par le vain désir de faire une chose impossible mais revenir à la discipline du désir et accepter volontiers la volonté du Destin. Il nous faudra ensuite revenir à l'action, à la discipline de l'action, en tenant compte avec prudence des nouvelles données.

Comment éviter que le consentement au Destin ne se transforme en résignation fataliste et en nonchalance ? Comment ne pas être envahi par le souci et la colère lorsque ceux avec qui je collabore entravent mon action ou lorsque le Destin m'empêche de faire le bonheur des autres ? Comment peuvent coexister la sérénité et le souci de bien agir ?

Il faut accepter avec sérénité la situation, que les circonstances fassent obstacle à mon action.

Il s'agit alors d'utiliser avec sollicitude, avec attention, avec habileté, les circonstances de mon action telles qu'elles sont voulues par le Destin, et d'exploiter d'une manière rationnelle et réfléchie les ressources que l'on peut trouver dans la situation.

Le sage stoïcien doit adopter la sérénité de celui qui n'est pas troublé par la situation dramatique, qui accepte la réalité telle qu'elle est, mais également conserver la sollicitude de celui qui poursuit l'action commencée, malgré les obstacles et les difficultés, en la modifiant en fonction des circonstances, tout en gardant toujours présente à l'esprit la fin qui doit être la sienne, la justice et le service de la communauté humaine.

Une méthode pratique consiste en un retournement de l'obstacle : si quelque chose vient faire obstacle à ce que j'étais en train de faire, à l'exercice de telle vertu que j'étais en train de pratiquer, je peux trouver dans l'obstacle même l'occasion de de pratiquer une autre vertu. Le feu et la volonté bonne sont totalement libres à l'égard des matières qu'ils utilisent, ces matières leur sont indifférentes, les obstacles qu'on leur oppose ne font que les alimenter, autrement dit, rien ne leur fait obstacle.

Un exercice de préparation aux épreuves consiste à :
  • se mettre dans une disposition fondamentale de perpétuelle vigilance qui est celle du stoïcien qui s'attend à tout,
  • critiquer l'imagination angoissée du futur, l'imagination non contrôlée par la raison,
  • éviter d'être malheureux dans le malheur mais également avant le malheur :
    • rien ne sert de se troubler à l'avance au sujet des maux futurs puisque des maux qui ne sont que futurs ne sont pas des maux : circonscrire l'épreuve dans le moment où on la rencontre, il sera plus facile de la supporter instant par instant,
    • les maux que nous craignons ne sont pas des maux au sens stoïcien : ils ne dépendent pas de nous et ne sont pas de l'ordre de la moralité.
L'exercice de préparation aux difficultés ne ressortit pas seulement à la discipline du désir, à l'acceptation de la volonté du Destin, mais fait partie intégrante de la discipline de la volonté et de l'action. Il sert à motiver un certain type de conduite à l'égard des autres hommes : s'attendre à trouver de la résistance et de la mauvaise volonté chez ceux avec qui on collabore, se préparer à prendre une attitude de fermeté, mais aussi de bienveillance, d'indulgence, d'amour même à l'égard de ceux qui s'opposent à nous.

Cet exercice de prévision raisonnée nous préservera par une double préparation psychologique :
  • affronter en pensée les épreuves futures qui peuvent nous arriver, pour qu'elles ne nous surprennent pas d'une manière inopinée,
  • s'habituer dans la vie de tous les jours à rester libre intérieurement à l'égard de ce qui peut nous échapper.

Bien de la communauté


L'intelligence et la raison sont communes aux êtres raisonnables. Par leur universalité qui dépasse les individus, elles permettent de passer du point de vue égoïste de l'individu à la perspective universelle du Tout.

La conservation de soi et la cohérence avec soi-même ne sont possibles que par l'adhésion entière au Tout dont on fait partie. Etre stoïcien c'est prendre conscience du fait qu'aucun être n'est seul mais que nous faisons partie d'un Tout.

Les disciplines du désir et de l'action correspondent à une seule et même attitude : prendre conscience que l'on n'est qu'une partie du Tout, et que l'on ne vit que par le Tout et pour le Tout.

L'homme a donc l'étrange faculté de pouvoir par son intention, sa liberté, sa raison, se séparer du Tout en refusant de consentir à ce qui arrive et en agissant de manière égoïste. Mais, par un pouvoir encore plus merveilleux, l'homme peut revenir dans le Tout, après s'en être retranché. Il peut se convertir et se transformer, en passant de l'égoïsme à l'altruisme.

Il faut avant tout agir avec sérieux, c'est-à-dire :
  • agir avec tout son cœur, toute son âme,
  • rapporter toute action à une fin, mieux encore à la fin propre de la nature raisonnable et au service de la communauté humaine : prendre conscience de la véritable intention de nos actions et la purifier de toute considération d'égoïsme,
  • ne pas se disperser mais limiter son activité à ce qui sert le bien commun puisque c'est l'unique nécessaire qui apporte la joie et que le reste ne cause que trouble et inquiétude.

Bienfaisance

La bienfaisance fait partie des devoirs, mais le bienfaiteur ne doit pas considérer celui qui reçoit le bienfait comme son débiteur. Pour fonder le désintéressement de l'action bonne, il faut introduire la notion de fonction naturelle. Agir selon la raison, c'est agir conformément à la nature, c'est préférer l'intérêt commun, l'intérêt de l'humanité à son propre intérêt. La véritable action bonne doit être spontanée et irréfléchie, comme l'instinct animal. Elle doit venir sans effort, de l'être même, car la conscience trouble la pureté de l'acte, être conscient de faire le bien, c'est à la fois se composer artificiellement une attitude, se complaire dans cette affectation et ne pas consacrer toute son énergie à l'action elle-même. Une telle attitude semble aller à l'encontre de la disposition fondamentale du stoïcien qui est l'attention à soi, la conscience aiguë de ce que l'on est en train de faire. La vie morale c'est l'art de concilier les attitudes opposées comme d'une part l'attention à soi et la conscience du devoir et, de l'autre, la spontanéité et le désintéressement total.

Justice

Pour les stoïciens, la justice consiste à donner à chacun ce qui est dû à sa valeur, à son mérite. Les hommes qui ont de la valeur sont ceux qui pratiquent les devoirs consciencieusement, c'est-à-dire dans le domaine de la vie politique et quotidienne (celui des choses indifférentes) font ce qu'il faut faire, même si ce n'est pas dans un esprit stoïcien, en ne considérant comme une valeur absolue que le bien moral.

Cette justice qui distribue les biens en fonction du mérite personnel, sans favoritisme, en toute impartialité, a pour modèle l'action divine. Celle-ci s'impose à elle-même un ordre. Cet ordre soumet les buts particuliers à une fin unique, l'intention d'assurer le bien du Tout. L'action divine introduit une hiérarchie des valeurs entre les buts particuliers qu'elle s'assigne. Les êtres inférieurs, minéraux, plantes, animaux sont au service des êtres raisonnables et les êtres raisonnables eux-mêmes sont des fins les uns pour les autres.

L'expérience de tous les jours pourrait faire douter de cette justice divine puisque souvent les mauvais vivent dans les plaisirs et en possèdent les moyens, tandis que les bons ne rencontrent que la peine et ce qui la cause. Mais c'est là le jugement de gens qui considèrent les plaisirs comme des biens et ne comprennent pas que vie et mort, plaisir et peine, gloire et obscurité, ne sont ni des biens ni des maux, lorsque l'on recherche le bien moral.

Le Destin distribue à chacun ce qui correspond à son être et à sa valeur. Tout ce qui arrive, arrive donc justement, parce que tout ce qui arrive nous apporte ce qui nous appartient, ce qui nous était dû, en un mot ce qui convient à notre valeur personnelle et ce qui contribue ainsi à notre progrès moral. La justice divine est éducatrice. La fin qu'elle vise, c'est le bien du Tout assuré par la sagesse des êtres raisonnables.

L'idéal de justice selon la foi stoïcienne est celui-ci : une justice qui ne considérerait rien d'autre que la valeur morale, qui n'aurait aucun autre objectif que le progrès moral des hommes, et pour laquelle les choses indifférentes n'auraient de valeur qu'en fonction de l'aide au progrès moral qu'elles pourraient apporter.

Cet idéal de justice peut inspirer une disposition intérieure, imitant à la fois l'impartialité de la Raison universelle, qui impose à tous la même loi, et la sollicitude attentive de la providence, qui semble s'adapter à chaque cas particulier et prendre soin de chaque individu en tenant compte de ses forces et faiblesses.

Pitié, douceur et bienveillance

La plus grande partie de l'humanité est dans le mal contre sa volonté parce que tout simplement elle ignore la définition du vrai bien et du vrai mal. Tout homme a du bien, s'il parait devenir méchant, c'est qu'il se laisse tromper par l'apparence du bien, mais il ne désire jamais le mal pour le mal.

Cette ignorance des vraies valeurs dans laquelle les hommes se trouvent plongés est "en quelque sorte digne de pitié": c'est-à-dire digne d'une absence de colère et de haine à l'égard de ceux qui ignorent les vraies valeurs. Mais ce qu'il faut surtout c'est chercher à les aider, en les avertissant de leur erreur, en leur enseignant les vraies valeurs, en essayant de raisonner celui qui se trompe. Si l'on échoue dans cet effort, il sera alors temps de pratiquer la patience, l'indulgence, la bienveillance.

Un autre devoir est de s'efforcer à convertir ceux qui s'égarent, ceux qui ignorent les vraies valeurs, mais avant tout sans se fâcher et bien plus avec une infinie délicatesse. Le paradoxe de la douceur c'est qu'elle cesse d'être douceur si on veut être doux : tout artifice, toute affectation, tout sentiment de supériorité la détruisent. La délicatesse n'agit que dans la mesure même où elle ne cherche pas à agir, dans un respect infini à l'égard des êtres, sans une ombre de violence, même spirituelle. Il ne faut surtout pas se faire violence à soi-même pour essayer d'être doux. Il faut à la douceur une spontanéité et une sincérité presque physiologiques.

Ce qui fonde la force de la douceur c'est qu'elle est l'expression de l'élan profond de la nature humaine qui recherche l'harmonie entre les hommes ; c'est aussi qu'elle correspond à la domination de la raison, alors que la colère, l'irritation ne sont que des maladies de l'âme. La douceur est seule à pouvoir révéler aux hommes le bien qu'ils ignorent, quoiqu'ils le désirent par tout leur être. Elle agit à la fois par sa force persuasive et par l'expérience inattendue que sa rencontre constitue pour les êtres qui ne connaissent que l'égoïsme et la violence. Elle apporte avec elle un total renversement des valeurs, en faisant découvrir à ceux qui en sont l'objet leur dignité d'hommes, puisqu'ils se sentent respectés profondément, comme des êtres qui sont des fins en eux-mêmes, en leur révélant également l'existence d'un amour désintéressé du bien, qui inspire la douceur qui s'adresse à eux.

La douceur envers autrui ne doit pas exclure la fermeté.

"Essaie de les persuader, mais agis contre leur volonté si l'ordre raisonnable de la justice l'exige ainsi."

La douceur n'est pas réservée à ceux que l'on désire convertir, elle est destinée aussi à ceux que l'on n'a pas réussi à faire changer d'avis. Une telle attitude, se fondant sur l'idée de la communauté entre les êtres raisonnables, conduit finalement à la doctrine d'un amour du prochain qui s'étendra même à ceux qui commettent des fautes contre nous, du fait qu'ils sont de la même race que toi et qu'ils pêchent par ignorance et contre leur volonté.

L'attitude fondamentale du stoïcien sera donc l'amour des réalités avec lesquelles le Tout à chaque moment le met en présence et qui lui sont intimement liées, avec lesquelles en quelque sorte il s'identifie.

"Les choses auxquelles tu es lié par le Destin, harmonise-toi avec elles, Les hommes auxquels tu es lié par le Destin, aime-les, mais vraiment."

Si les choses aiment à arriver, il faut que nous aimions qu'elles arrivent.

Valeurs


Les degrés de valeur sont classés ainsi :
  1. En premier, les choses qui sont parties intégrantes de la vie en accord avec la nature, c'est-à-dire de la vertu, exemple : exercices d'examen de conscience, d'attention à soi, qui contribuent à la pratique de la vie morale. Ces choses ont une valeur absolue.
  2. En deuxième, les choses pouvant aider d'une manière secondaire à la pratique de la vertu. Choses en soi ni bonnes, ni mauvaises, indifférentes par rapport au bien moral, mais dont la possession ou l'exercice permet de mieux pratiquer la vie vertueuse, exemple : la santé qui rend possible l'accomplissement des devoirs, la richesse si elle permet de secourir son prochain. Ces choses n'ont pas une valeur absolue, mais hiérarchisées selon leur rapport plus ou moins étroit avec le bien moral.
  3. Et en troisième, les choses qui, dans certaines circonstances, pourraient être utiles à la vertu, des choses qui, en soi, n'ont aucune valeur, mais que l'on peut échanger en quelque sorte pour un bien.
Un des exercices très important de la discipline du jugement est de reconnaître la valeur exacte d'une chose. Il faut toujours essayer de voir chaque objet qui se présente dans sa nudité et sa réalité, également prendre conscience de sa place dans l'univers et de la valeur qu'il a par rapport au Tout et à l'homme.

La discipline du jugement est strictement liée à discipline de l'action: lorsqu'on a ainsi vu la valeur des choses, on doit agir en conséquence:
  • tout d'abord juger la valeur de ce qui est en question,
  • ensuite proportionner l'impulsion active à cette valeur,
  • enfin accorder impulsion active et action afin de demeurer toujours en accord avec soi.
La considération de la valeur se situe autant au niveau de la conduite individuelle qu'au niveau de la vie sociale. Le problème c'est que le stoïcien n'a pas la même échelle de valeur que les autres hommes. Ceux-ci accordent une valeur absolue à des choses qui sont, selon le stoïcien, indifférentes. A l'inverse le stoïcien accorde une valeur absolue au bien moral, qui n'a aucun intérêt aux yeux de la plupart des hommes. Il s'agit alors de secourir les autres aussi dans le domaine des choses indifférentes qui leur semblent si importantes, mais en tenant compte de la valeur des choses, c'est-à-dire de leur finalité morale, et cela sans partager le jugement des autres sur la valeur des choses : il ne faut pas s'apitoyer avec eux comme si ce qui leur arrive était un véritable mal.

Pour conclure : le prochain article clôturera cette série sur la philosophie stoïcienne en abordant la discipline de l'assentiment, autre pilier sur lequel doit reposer le jugement du sage stoïcien. Je tenterai également à cette occasion de faire une courte synthèse pour résumer l'essentiel à retenir de cette philosophie exigeante par nature. Comme d'habitude, tout commentaire et/ou question sont les bienvenus.

dimanche 16 novembre 2014

Principes de la philosophie stoïcienne - La Citadelle Intérieure

Avant-propos : deuxième billet sur les principes de la philosophie stoïcienne suite à ma lecture du livre de Pierre Hadot, philosophe spécialiste des Stoïciens, anciennement intitulé « La citadelle intérieure » (que l'on peut trouver maintenant sous le nom « Introduction aux "Pensées" de Marc Aurèle »). Dans cet ouvrage, Pierre Hadot cite Marc Aurèle, lequel : « bâtit en lui-même une citadelle inaccessible aux troubles des sentiments et des passions, ces mouvements irrationnels de l’âme contraires à la nature. En ce lieu règne l'apathie, cette tranquillité de l’âme que rien ne vient troubler ». Nous allons explorer dans cet article ce qu'est réellement cette Citadelle Intérieure.

La Citadelle Intérieure


Le schéma ci-dessous présente en quoi consiste cette Citadelle Intérieure et ce qu'elle circonscrit.



La création de cette Citadelle Intérieure repose sur l'adoption d'un certain nombre de disciplines que nous allons rappeler ci-après. Contrairement à la division présentée dans le premier billet (cf. Principes de la philosophie stoïcienne d'après les Pensées de Marc Aurèle), nous distinguerons ici "impulsion à l'action " et "action (devoirs)" afin de les situer par rapport au schéma ci-dessus.

Discipline de l'impulsion à l’action et du vouloir

Il s'agit de rester en cohérence avec soi, de faire ce que ma nature propre exige, ma nature d'homme, ma raison commune avec celle de tous les hommes (daimôn).

Discipline de l'assentiment

Il s'agit toujours d'examiner et de critiquer les jugements que je porte, que ce soit sur les événements qui m'arrivent ou que ce soit sur l'action que je veux entreprendre. L'assentiment initie le mouvement vers le désir ou l'impulsion à l'action. Mais ceci est inséparable de l'adhésion intérieure à un certain jugement et à un certain discours prononcé au sujet des choses. Les seuls jugements valides sont ceux qui reconnaissent le bien moral comme seul bien, le mal moral comme seul mal et que ce qui est ni bon ni mauvais moralement est indifférent.

Discipline du désir

Il s'agit de rester en cohérence avec le Tout, de refuser de désirer autre chose que ce que veut la Nature du Tout, la Raison universelle (loi interne de l'univers) et de replacer chaque événement dans la perspective du Tout.

Discipline de l'action (des devoirs)

Il s'agit des devoirs suivants :
  • aider spirituellement autrui,
  • lui révéler les vraies valeurs,
  • l'avertir de ses fautes,
  • redresser ses fausses opinions,
  • montrer à chacun la contradiction qui est la cause de sa faute.

Pour pouvoir adopter les disciplines des devoirs et de l'assentiment, il est indispensable de circonscrire le présent. Le paragraphe ci-dessous présente en détails de quoi il s'agit.

Circonscrire le présent


Il s'agit de composer sa vie en accomplissant ses actions une par une, en se concentrant sur l'instant présent, sur l'action qu'il est en train de faire en ce moment, sans se laisser troubler par le passé ou le futur. Cette concentration sur l'action présente met de l'ordre dans la vie, permet de sérier les problèmes, ne pas se laisser troubler par la représentation de toute la vie et ses difficultés. Chacune de ces actions sur lesquelles se concentre l'intention bonne, trouve en elle-même son achèvement et sa plénitude, et personne ne peut nous empêcher de l'achever et de la réussir. C'est le paradoxe évoqué par Sénèque - même si le sage échoue, il réussit. Personne, aucune puissance au monde, ne peut nous empêcher de vouloir agir avec justice et prudence, donc de pratiquer la vertu que nous avons l'intention de pratiquer en prenant la décision de faire telle action.

Seul le présent est en notre pouvoir: notre vie réelle se limite à cette pointe minuscule qui nous met en contact à chaque instant, activement ou passivement, par l'intermédiaire de l'événement présent ou de l'action présente, avec le mouvement général de l'univers.

Le présent n'est réel et il n'a de valeur que si nous en prenons conscience.

La circonscription du présent vise à :
  • intensifier l'attention portée à l'action.
  • exalter la conscience de l'existence et la conscience de la liberté.
  • accomplir chaque action de la vie comme si c'était la dernière : cette pensée de la mort donne à chaque instant présent de la vie son sérieux, sa valeur infinie, sa splendeur.
  • disposer du présent selon la justice : agir au service de la communauté humaine.
  • rendre supportable les difficultés et les épreuves en les réduisant à une succession de courts instants.
  • intensifier le consentement aux événements qui viennent à notre rencontre.
  • utiliser la méthode de définition physique pour décomposer la réalité en ses parties pour découvrir qu'elle n'est qu'un assemblage de ces parties là et rien d'autre. La vie n'est faite que d'une suite d'instants que nous vivons successivement et que l'on peut maîtriser d'autant plus que l'on sait les définir et les isoler.
  • prendre conscience de la valeur infinie de chaque instant en regard de l'imminence possible de la mort : l'idée de la mort arrache l'action à la banalité, à la routine de la vie quotidienne. Impossible dans cette perspective d'accomplir la moindre action sans réflexion, sans attention. Il faut que l'être s'engage tout entier dans ce qui sera peut-être la dernière occasion qu'il aura de s'exprimer. Il n'est plus question d'attendre, de remettre à demain, pour purifier son intention, pour agir avec toute son âme. Même s'il arrivait que l'action que nous sommes en train de faire fût effectivement interrompue par la mort, elle n'en serait pas pour cela inachevée, car ce qui lui donne son achèvement, c'est précisément l'intention morale qui l'inspire, non la matière où elle s'exerce.
Le bien moral vécu dans l'instant présent est un absolu d'une valeur infinie. L'activité morale atteint sa fin dans le fait même qu'elle est exercée. Elle est toute entière dans l'instant présent, dans l'unité de l'intention morale qui anime en ce moment même mon action ou ma disposition intérieure. Il s'agit donc de vivre le présent comme le dernier instant de ma vie : à cause de la valeur absolue de l'intention morale, dans cet instant j'ai réalisé ma vie, je peux donc mourir.

Pour conclure : dans deux prochains billets, je présenterai en détails les disciplines de l'assentiment et des devoirs ainsi que les principes qui les dirigent (définition physique / amor fati et valeurs / clause de réserve / bien de la communauté). Et après cette digression dans les méandres de la philosophie stoïcienne, je reviendrai à des considérations plus ludiques sur la création de scénarios pour Agôn et comment les lier entre eux. Comme d'habitude, j'essaierai dans la mesure du possible de répondre à vos questions et d'apporter des éclaircissement sur tel ou tel passage.

dimanche 2 novembre 2014

Principes de la philosophie stoïcienne d'après les Pensées de Marc Aurèle

Avant-propos : la philosophie stoïcienne est une philosophie exigeante, que certains illustres personnages de l'histoire ont essayé d'appliquer tout au long de leur vie. Parmi ceux-ci se trouve Marc Aurèle, empereur romain, qui en guise d'exercices spirituels et pour se remémorer quotidiennement les principes qui devaient guider sa vie, a écrit ses "Pensées". En analysant ses réflexions quotidiennes, Pierre Hadot a, dans son ouvrage "Introduction aux Pensées de Marc Aurèle", présenté les principes fondamentaux à suivre pour appliquer également cette philosophie de vie. Après plusieurs semaines de lecture assidue, de multiples synthèses pour en extraire la substantifique moelle, je vous propose de vous en présenter l'essentiel à l'aide de schémas synthétiques visant à conserver plus facilement à l'esprit ces principes.

La philosophie stoïcienne propose à chacun, par l'application de plusieurs disciplines, de prendre conscience de son véritable Moi.

Disciplines


Les disciplines peuvent être divisées selon les trois thèmes suivants.

Discipline de l'assentiment

Il s'agit toujours d'examiner et de critiquer les jugements que je porte que ce soit sur les événements qui m'arrivent ou que ce soit sur l'action que je veux entreprendre. L'assentiment initie le mouvement vers le désir ou l'impulsion à l'action. Mais ceci est inséparable de l'adhésion intérieure à un certain jugement et à un certain discours prononcé au sujet des choses.

Les seuls jugements valides sont ceux qui reconnaissent le bien moral comme seul bien, le mal moral comme seul mal et que ce qui est ni bon ni mauvais moralement est indifférent.

Discipline de l'impulsion à l’action et du vouloir

Il s'agit de rester en cohérence avec soi, de faire ce que ma nature propre exige, ma nature d'homme, ma raison commune avec celle de tous les hommes (daimôn).

Elle consiste à suivre les préceptes suivants :
  • devoir d'aider spirituellement autrui,
  • lui révéler les vraies valeurs,
  • l'avertir de ses fautes,
  • redresser ses fausses opinions,
  • montrer à chacun la contradiction qui est la cause de sa faute.

Discipline du désir

Il s'agit de rester en cohérence avec le Tout, de refuser de désirer autre chose que ce que veut la Nature du Tout, la Raison universelle (loi interne de l'univers). Pour ce faire, il faut replacer chaque événement dans la perspective du Tout.

Processus de prise de conscience du Moi


Le schéma ci-dessous présente les différentes étapes nécessaires pour arriver à la pleine conscience du Moi.


L'exercice de regard d'en haut (nommé aussi vue cosmique de l'âme) consiste à aider à la prise de conscience du Moi en :
  • ramenant à leurs vraies proportions les choses indifférentes (santé, gloire, richesse, mort) dans la perspective de la Nature universelle,
  • révélant la splendeur de l'univers à l'homme,
  • contemplant la Nature du Tout et tout ce qui arrive conformément à ce qu'elle a voulu,
  • surveillant les actions des hommes pour dénoncer le caractère insensé de leur manière de vivre, en regardant les choses humaines dans la perspective de la mort : c'est cette perspective qui donne le détachement, l'élévation, le recul indispensable pour voir les choses telles qu'elles sont.

Circonscrire le Moi


Se circonscrire, c'est pratiquer un triple exercice:
  • dans l'ordre de l'assentiment, ne pas approuver les jugements de valeur influencés par le corps et le souffle vital,
  • dans l'ordre du désir, reconnaître que tout ce qui ne dépend pas de mon choix moral est indifférent,
  • dans l'ordre de l'action, dépasser le souci égoïste du corps et du souffle vital pour s'élever au point de vue de la Raison commune à tous les hommes et donc vouloir ce qui est utile au bien commun.


Il s'agit donc de circonscrire le moi en rejetant les différents cercles étrangers au moi. Ainsi, conformément au schéma ci-dessus, il faut séparer sa pensée :

  • de tout ce que les autres font ou disent,
  • de la crainte de l'avenir et du souvenir des maux anciens,
  • du plaisir et de la peine qui se produisent dans le corps. Le corps et le souffle vital sont imposés par le Destin. Ne pas donner son assentiment à ces émotions ni y ajouter de jugement de valeur,
  • du flot des événements en voulant qu'il arrive ce qu'il arrive, c'est-à-dire ce que le veut la Nature,
  • de ce qui n'est pas "tien" pour ne pas en éprouver de souffrance si on nous l'arrache.

La transformation de la conscience du monde entraîne une transformation de la conscience du moi, en délimitant notre vrai moi : rien ne pourra plus m'atteindre si je découvre que le moi que je croyais être n'est pas le moi que je suis.


Pour conclure : dans un prochain billet je présenterai ce que Pierre Hadot appelle "La Citadelle Intérieure", siège du jugement pour chacun, où se trouve sa vraie liberté et où chacune des trois disciplines doit s'appliquer. J'ai conscience que le lexique employé ici peut être assez obscur pour qui n'est pas familier avec les thèmes de la philosophie stoïcienne. N'hésitez pas à poser des questions dans vos commentaires, j'y répondrai en essayant d'expliciter plus concrètement tel ou tel terme.

dimanche 19 octobre 2014

Abrégé hédoniste - Extraits choisis

Avant propos : je vous propose dans ce nouveau billet philosophique quelques extraits choisis d'une de mes dernières lectures : Abrégé hédoniste de Michel Onfray. Ce livre est une bonne introduction à l'hédonisme (doctrine philosophique qui considère le plaisir comme un bien essentiel), et surtout en donne une vision actualisée et moderne, en abordant notamment les questions soulevées par la bioéthique. Si ces quelques extraits suscitent chez vous un intérêt, je vous invite à acheter cet essai aux éditions Librio, surtout vu son prix modique de 3 euros.


La philosophie hédoniste est une proposition psychagogique, psychologique, éthique, érotique, esthétique, bioéthique, politique... Elle propose un discours sur la nature des choses afin que tout un chacun puisse trouver sa place dans une nature, un monde, un cosmos dans la perspective d'une vie réussie - la vie réussie se définissant comme celle qu'on aimerait revivre s'il nous était possible d'en vivre une à nouveau. Sachant cela, voulons ici et maintenant ce que nous voudrions voir se répéter dans l'hypothèse d'un éternel retour.

Ontologie et Métaphysique


Je défends une ontologie et une métaphysique matérialistes: après la physique connue, c'est la physique inconnue - voilà l'objet de la métaphysique immanente. La question célèbre de Leibniz qui fit le bonheur d'Heidegger et de tous les théologiens soucieux de prétextes philosophiques et non théologiques du "pourquoi y a-t-il de l'être plutôt que rien ?", ne se résout pas avec les armes de la métaphysique idéaliste, mais avec celle d'une métaphysique matérialiste qui est philosophie de l'astrophysique.
Questionner la nature du temps ou celle de l'espace, aborder la question de l'infini, réfléchir sur l'éternité du monde, se décider pour la dialectique héraclitéenne de l'entropie ou celle de l'éternité parménidienne de l'essence pure, suppose un compagnonnage avec les découvertes les plus récentes de l'astrophysique - en attendant ses progrès qui sont rapides et considérables.

Les hommes ignorent leur place dans l'univers. S'ils la connaissaient, ils prendraient mesure de la démesure du cosmos et de l'insignifiance de leur existence. Nous faisons un événement considérable de notre vie qui importe aussi peu que l'être d'une feuille dans un arbre...
Or se savoir mortel, dérisoire, périssable, fragile, temporaire dans le bruissement des milliards de planètes dans un cosmos qui ne connaît que la loi de la gravité, remet l'être au centre de lui-même: un axe dont la matière est le néant. La religion vend des fables et des mythes, elle raconte des histoires pour convaincre la multitude que vivre c'est autre chose que mourir - or cette folie est une contre-vérité radicale...

L'ignorance de la place de l'homme dans le cosmos se double de l'ignorance de celle qu'il occupe dans la nature.
L'ontologie matérialiste, la métaphysique d'un cosmos immanent, autrement dit la philosophie, mènent à une sagesse digne de ce nom. Il suffit d'en appeler à la compréhension de la nature et de la saisie de notre inscription dans ce premier maillon de la chaîne cosmologique. L'oubli de la nature, ou sa confiscation par les défenseurs contemporains d'une idée de la nature pensée comme objet conceptuel transcendantal, et non comme vérité matérielle vécue, accompagne et définit en même temps le nihilisme contemporain.

La nature n'est pas ce que quelques rousseauistes citadins, tout à leur désir de rédemption du reniement de leur naturalité, affirment aujourd'hui en nourrissant une religion d'après la religion: l'écologisme.
L'écriture catastrophiste imbibée de la fameuse herméneutique de la peur du philosophe Hans Jonas, active les causalités magiques et rend l'homme responsable de toutes les négativités écologiques, sous prétexte du péché originel que serait l'industrialisation.
Le cas du réchauffement de la planète néglige la plupart du temps les considérations astrophysiques, par exemple les incidences de l'aléatoire dans l'année galactique qui définit le temps mis par le Soleil à accomplir son trajet orbital autour du centre de la Voie lactée. Le système solaire effectue en effet son tour autour du centre de la galaxie en 226 millions d'années en regard desquelles alternent les périodes de réchauffement et celles de glaciation sans aucune relation avec ce que font ou sont les hommes, et pour cause, le cosmos n'ayant nullement besoin d'eux...

Le sentiment de la nature, mais également la pleine et entière ouverture au cosmos, activent une sensation que, depuis Longin, on nomme le sublime. L'expérimenter atteste de la vérité de l'ontologie pratique. Le spectacle de la vastitude de la mer, des montagnes, de l'océan, de l'orage, de la foudre, de l'éclair, du torrent, des glaciers, du naufrage, déclenche le sentiment de soi comme conscience finie, étroite, limitée, dérisoire. Ce "sentiment océanique", pour utiliser l'expression de Romain Rolland, n'est pas le nucléus d'une religion, mais l'expérience du lien qui nous unit avec le cosmos et la nature dont nous sommes un fragment.

Psychagogie


La sagesse des grandes écoles socratique, stoïcienne, épicurienne, cynique, cyrénaïque supposait une psychagogie, autrement dit une invitation, par des exercices spirituels, à modifier son âme (matérielle) afin d'en purifier les affects pour aller du monde de l'angoisse, de la peur, de la crainte, des passions humaines à celui de la sagesse dans lequel triomphent la sérénité, la joie, la béatitude, l'ataraxie, les vertus philosophiques.

Psychologie


La parole peut, en effet, soigner et guérir en contribuant à de nouveaux agencements, hédonistes en l'occurrence, des circuits psychiques endommagés par la souffrance. La parole doit contribuer à la construction d'un récit qui donne du sens au chaos existentiel de la personne qui requiert les services du psychologue. En cas de traumatismes qui ne relèvent pas de la psychiatrie, la psychologie est un art de la construction de soi ou de la reconstruction de soi. Elle produit de l'ordre existentiel dans le désordre ontologique.

En ce sens, elle entretient une relation intime avec la philosophie entendue comme art de vivre, construction de soi, sculpture de sa propre statue.

Ethique


Une éthique hédoniste suppose un combat athéologique. L'athéologie décompose les fictions construites pour éviter la vérité ontologique ultime : notre présence au monde n'a de sens que dans, par et pour notre effacement du monde.
Je défends un athéisme qui affirme la nécessité d'une éthique post-chrétienne. Il nous faut une règle du jeu immanente qui récuse l'accrochage de la morale à la théologie, comme pendant si longtemps, ou à la science comme d'aucuns le croient

Nous sommes un matériau brut qui doit être informé. Ce que nous sommes, nous le devenons. Si nous ne devenons rien, nous ne serons rien, sinon un fragment aveugle de la nécessité du cosmos. D'où la nécessité d'informer l'âme matérielle constituée par notre cerveau et notre système nerveux. Il faut un dressage neuronal car, ne pouvant éviter que celui-ci ait lieu par défaut et débouche sur la sauvagerie psychique de l'être, on doit le vouloir pour dompter les forces, façonner les formes, vouloir les contours de notre existence. L'éthique est une affaire de sculpture de soi.

D'où une construction à partir de soi, car la vérité ontologique du monde est, sur le terrain métaphysique, le solipsisme. Chacun définit le centre du monde et construit le réel à partir de lui. Y compris, et surtout, le réel éthique, l'intersubjectivité. Sur le mode des cercles concentriques, dans une logique aristocratique donc, l'élection et l'éviction décident d'une situation dans le dispositif: élu celui ou celle qui consent à une relation hédoniste dans laquelle se construit, à deux, une intersubjectivité dans laquelle triomphe la pulsion de vie ; évincé celui ou celle qui, dans cette relation, fait primer la pulsion de mort, la négativité, la destruction, la perversion, le déplaisir.

La situation que chacun occupe dans les cercles éthiques d'autrui n'est jamais définitivement acquise, elle est au contraire relative à ce qui aura été donné, ou pas, négativement ou positivement. Qui donne de la jubilation en reçoit en retour; qui inflige des passions tristes écope d'une mise à distance - non pas la haine, le mépris, la rancœur ou la rancune, l'antipathie, qui abîment l'âme par la corruption des toxines du ressentiment, mais la sortie de ses cercles éthiques, l'effacement de son monde.

L'impératif catégorique de l'éthique hédoniste a été justement formulé par Chamfort dans un aphorisme définitif: "Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi ni à personne, voilà toute morale."

Esthétique


La mort de Dieu proclamée par Nietzsche dans le Gai Savoir s'accompagne de la mort du Beau annoncée par Duchamp (stirnérien et nietzschéen avoué) avec son premier ready-made. La thèse de Duchamp ? C'est le regardeur qui fait le tableau.

Depuis toujours, le décodage d'une œuvre nécessite des informations. La connaissance des symboles de l'art occidental aide à voir un message nettement plus subtil. L'art contemporain exacerbe cette radicalité intellectuelle dans/de l'art. De sorte que le regard naïf d'un sujet inculte transforme l'œuvre en pitoyable production dépourvue de signification. Si la moitié du chemin est faite par l'artiste, l'autre doit être effectuée par le regardeur. Mais dans un monde où l'initiation n'existe plus, comment le public pourrait-il porter des jugements de goût dignes de ce nom ?

Pour autant, le divorce entre grand public et art contemporain n'est pas dû au seul public car nombre d'"artistes", sous prétexte de conceptualité, oublient qu'un demi-chemin leur est imputable et produisent des œuvres dépourvues de sens, d'intérêt, d'intelligence, de signification. Miroir du nihilisme oblige, leurs productions trahissent moins une radicalité signifiante qu'une asthénie dominante. Dupliquer Duchamp, c'est encore dupliquer, autrement dit, faire un travail d'artisan, si l'on veut, mais sûrement pas d'artiste. Je propose donc qu'on se souvienne que, pour être fidèle à Duchamp, il ne faut pas le dupliquer mais le dépasser.

Duchamp a révolutionné les choses sur deux plans: le regardeur investi d'une responsabilité dans le processus de création esthétique mais également la révolution des supports.

L'art est propédeutique à l'éthique parce qu'il met l'âme devant sa vacuité, une condition existentielle préalable à la sculpture de soi. La révolution des supports initiée par Duchamp permet de faire du Soi un matériau susceptible d'être informé sur le principe esthétique. La vieille invite à faire de sa vie une œuvre d'art devient claire et limpide.

Érotique


La théorie occidentale du désir s'est construite comme manque consécutif à la séparation d'avec l'androgyne primitif qui connaissait la satiété de la complétude mais jubilait d'une puissance qui déplût aux dieux. Dès lors, ils sectionnèrent cette forme parfaite pour en faire deux  parties qui errent depuis dans la quête de leur moitié perdue et de leur partie manquante. Le désir est souffrance qui coïncide avec cette quête d'une improbable complétude par l'autre, conçue comme vérité de notre béatitude.
D'où les fantasmes du prince charmant, de l'épouse idéale, de la moitié à trouver, de la perle rare, autant de variations sur le thème de l'impossible.
Notre malheur vient de ce que, sacrifiant à cette mythologie du désir comme manque doublée du souci de restaurer l'unité primitive d'un animal fabuleux perdu, nous soyons en quête d'une chimère. En matière d'érotisme, le premier pas effectué sur le terrain post-chrétien consiste à jeter aux orties ce schéma dévastateur et créateur de névroses, de pathologies mentales individuelles et collectives.

Un autre pas sera fait quand nous cesserons de condamner la libido et que nous proposerons une libido libertaire avec un éros léger qui indexe la sexualité non pas sur l'amour, la fidélité, la monogamie, la procréation, la cohabitation, mais sur le projet moins ambitieux d'une intersubjectivité libre, joyeuse, pacifiée, voluptueuse dans laquelle l'objectif est moins l'idéal familialiste paulinien que la proposition ouverte d'une construction de son érotisme dans la liberté du consentement d'autrui.
Un érotisme solaire déclare ouverte toute possibilité sexuelle, pourvu qu'elle procède d'un pacte en amont et que les consentements aient été dûment obtenus, l'ensemble commençant par le détail de la règle du jeu.

L'érotique solaire se propose également de contribuer à la réalisation d'un féminisme libertin dans lequel ce que l'homme se permet, il le permette aussi à la femme.
L'habitude de penser le sexe en genre et le réduire à deux relève de la facilité conceptuelle. Chacun est constitué d'une part masculine et d'une autre féminine, et en parts inégalement réparties. De sorte qu'il nous faut moins penser avec la série homme/femme, masculin/féminin, qu'en termes de nominalisme, une option philosophique en vertu de laquelle il n'existe que des cas particuliers.
Chacun est une exception sexuelle parce que le formatage neuronal de sa psyché relève d'une histoire singulière, subjective, sans double.
D'où la nécessité de partir à la quête de soi afin de déterminer ce que l'on est sur le terrain sexuel et ce à quoi on aspire. La connaissance du soi sexuel est le préalable à toute intersubjectivité réussie. Pas d'érotisme solaire sans savoir de son identité sexuelle et de ses aspirations voluptueuses.

L'absence d'éros chrétien précipite chacun dans l'obscurité de son être. Les érotiques chinoise, indienne, japonaise nous persuadent de la nécessité d'un apprentissage de la sexualité.
L'érotisme est à la sexualité ce que la gastronomie est à la nourriture: un supplément d'âme.

Bioéthique


La bioéthique est un souci récent dans un monde où, depuis peu, on se retrouve devant des questions inédites qui renvoient à la possibilité d'un corps faustien, post-chrétien, élargi par la technique et les potentialités biologiques annoncées.

Envisageons la bioéthique comme un combat hédoniste pour lequel le plaisir s'entend comme l'évitement du déplaisir, la conjuration de la douleur, de la souffrance et de la peine subie par le corps.

Le techniquement faisable n'est pas toujours moralement défendable, et de loin, mais la science n'est pas mauvaise en soi: elle l'est en fonction des causes servies.

Une bioéthique nominaliste défend l'artifice pour pallier la nature: là où cette dernière manque sur le terrain hédoniste (un amoindrissement du corps, une douleur, une souffrance, un affaissement des potentialités de la chair, la perspective d'une affection handicapante, une maladie, etc.), elle est compensée par l'artifice qui vient en aide, qui propose un recours. Toute prothèse est bienvenue qui augmente le corps, le soutient et le supporte, l'élargit, le décuple et multiplie ses possibilités.
Cette éthique théorique suppose donc une morale pratique dont les vertus sont simples: vertueux ce qui augmente un plaisir et diminue une souffrance; vicieux ce qui augmente les souffrances, les entretient ou ne lutte pas contre.
La réappropriation de soi est l'épicentre de ce projet: notre corps nous appartient, il n'est en rien propriété divine ou machine transcendante.
Le cerveau constitue l'identité de l'être. Nous sommes notre cerveau. Quand le développement neuronal est à ce point insuffisant qu'il ne permet pas une interaction de l'être en soi et soi, soi et les autres, soi et le monde, qu'il n'y a pas de possibilité de réaction aux stimuli de plaisir et de déplaisir venus de son extérieur, alors il y a du vivant, certes, mais l'humain n'est pas là. Dans le cas du foetus avant la vingt-cinquième semaine, dans celui de l'accidenté au cerveau irrémédiablement endommagé, il paraît légitime d'envisager aussi bien l'avortement que l'euthanasie.
Cette dernière permet une ultime réappropriation de soi jusque dans la mort qui marque le moment ultime de la désappropriation de soi.

Pour le reste, tout ce qui augment la jubilation à être me paraît légitime: les greffes d'organes, de tous les organes, y compris le visage, le cerveau exclus ; les consommations de substances euphorisantes ; les chirurgies esthétiques ; les diagnostics prénataux utiles à l'évitement de pathologies donc de souffrances annoncées ; le clonage thérapeutique ; le clonage des cellules souches ; la thérapie génique ; la médecine prédictive...

Politique


La politique que je propose suppose ce que je nomme le principe de Gulliver: chacun connaît l'histoire de Swift qui montre comment un géant peut être entravé par des Lilliputiens si et seulement si le lien d'une seule de ces petites créatures se trouve associé à une multiplicité d'autres attaches. Le comportement de Gulliver illustre à ravir la leçon de La Boétie: "Soyez résolus de ne plus servir et vous voilà libres." La domination n'existe que par le consentement de ceux qui l'acceptent. Si l'on refuse l'assujettissement, et que l'on est assez nombreux pour cela (leçon de l'association d'égoïstes de Stirner...), alors le pouvoir s'effondre de lui-même, car il ne tient sa force que de notre faiblesse, il n'a de puissance que de notre soumission.

Concrètement, il s'agit, d'une part, de ne pas créer les microfascismes du genre assujettissements, dominations, dépendances, servitudes, pouvoirs, d'autre part de ne pas y consentir. Car la logique domination/servitude n'existe que par la volonté de ceux qui dominent et par l'absence de refus de ceux qui subissent cet empire. Chaque microfascisme se désintègre par une microrésistance.

En politique, l'hédonisme se résume à la vieille proposition utilitariste des Lumières: il faut vouloir le plus grand bonheur du plus grand nombre. Non pas demain, trop facile, trop simple, trop confortable, mais ici et maintenant, tout de suite.

Pour conclure : si la philosophie d’Épicure vous intéresse, et que vous voulez retourner aux origines de ces principes, je vous conseille la lecture de ces Lettres, Maximes et Sentences. Et vous, avez-vous une philosophie qui guide votre vie ?